Jean-Pierre Chapuis, colosse du Locle : un nain primeur bien vigousse !

Anthony Picard

Le dernier imprimeur du Locle s’apprête à passer la main. Interview

 

Jean-Pierre Chappuis, né en 1949, est sur le point de remettre son imprimerie, la dernière des quatre que comptait Le Locle. Voilà comment il lance son interview : « Depuis 1986, je suis à mon compte. J’ai tout traversé, même le Covid et ses aléas, ces foutues journées dans lesquelles nous étions ouverts pour venir bosser à l’ombre de nos machines fantômes devenues silencieuses par manque de travail. En pleine pandémie, c’était difficile de se représenter le monde d’après. Ouais, ça fait 37 ans que je me suis établi ; il est venu le temps de raccrocher, raison pour laquelle je vous le dis tout Ô, je remets mon commerce à la fin de l’année. »

– Remettre une imprimerie, c’est encore possible ?
– Oui, malgré des temps difficiles pour notre profession. Surtout du fait que Rapidoffset est la dernière imprimerie en ville du Locle. Une ville sans imprimerie c’est un peu comme une église sans pasteur, c’est impensable !

– Votre regard sur cette profession autrefois glorifiée ?
– Le métier d’imprimeur s’est liquéfié durant ces deux dernières décennies. D’abord gangrenée par l’informatique, notre profession a subi la concurrence des graphistes en herbe et des travaux confiés à l’étranger (ndlr : le colosse n’a rien contre les privés qui recherchent la bonne combine sur internet. En revanche, il fulmine contre les collectivités publiques qui impriment à l’interne ou qui confient leurs travaux ailleurs). Déjà que l’impression diminue au profit des publications digitales, certains sont sans scrupule pour toucher des subventions et faire imprimer leur bouquin en Pologne.

– On peut parler de succès, il s’est bâti comment ?
– En 1986, il y avait quatre imprimeries sur la place, aujourd’hui c’est avec une certaine fierté que je m’affiche comme dernier imprimeur du Locle. Plutôt que de frimer ou de vouloir briller, j’ai toujours investi
pour renouveler mes machines. La chance était aussi avec moi lorsque j’ai repris le matériel et le personnel de l’Imprimerie Glauser en 1992. Au fil des ans, mes collaborateurs furent ma grande force. Lorsque les affaires furent à leur apogée, j’en ai eu jusqu’à douze. Aujourd’hui, je suis entouré de Mesdames Chaudon et Feuz.

– Qu’allez-vous faire ensuite ?
– Tout ne sera pas terminé le 31 décembre puisque j’ai promis de donner des coups de main au repreneur. Je me réjouis d’avoir une vie plus tranquille surtout que ces derniers temps un conflit avec la gérance m’a totalement plombé le moral.

– Un regret ?
– Bien entendu si j’avais pu former un repreneur « maison », j’aurais préféré. Pendant de nombreuses années, j’ai cherché le repreneur idéal avant de trouver l’oiseau rare en la personne d’un jeune entrepreneur. Pour l’avenir de la société, je suis confiant dans le fait que celle-ci continuera d’offrir ses excellents services comme elle l’accomplit depuis 1963, année de sa création par Eric Jaquet.

– Allez, quelques anecdotes!
– Il y a la récente histoire de cette brave dame qui veut me vendre une annonce dans un livret de fête imprimé à La Chaux-de-Fonds ! Celle du client parisien pour lequel nous imprimions un journal matrimonial qui m’a laissé un impayé de CHF 20’000.- ou encore l’impression du VoteInfo NE que j’avais sous-traitée dans le Jura bernois, livrée juste à temps grâce à l’intervention du patron – lui-même neuchâtelois – auprès des services de l’Etat et où il avait fallu travailler le week-end !

Jean-Pierre Chappuis se réjouit de vivre des jours plus tranquilles. « Mais je vais continuer de donner des coups de main à mon repreneur. » (Photo : ap) 
Jean-Pierre Chappuis se réjouit de vivre des jours plus tranquilles. « Mais je vais continuer de donner des coups de main à mon repreneur. » (Photo : ap) 

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