La nuit des longs couteaux

Olivier Kohler

La formule magique volerait en éclat avec une éjection d’Ignazio Cassis. Improbable mais pas impossible

Considérée d’ordinaire comme une simple formalité, l’élection du Conseil fédéral pourrait réserver son lot de surprises le 13 décembre.

Acte I. La réélection d’Ignazio Cassis. Souffre-douleur et maillon faible du gouvernement, impopulaire et décrié dans son propre département, le Tessinois est en danger. « Son bilan est médiocre. Rupture brutale de l’accord-cadre avec l’Union européenne et une stratégie illisible sur les grands enjeux internationaux », confie un député bourgeois sous le couvert de l’anonymat. « C’est l’un des plus faibles ministres des Affaires étrangères de notre histoire et cela ne peut plus continuer comme ça. » L’inquiétude d’ailleurs commence à gagner son propre camp et ses plus proches alliés.

Chef du groupe PLR, le conseiller national neuchâtelois Damien Cottier évoque sans détour un potentiel complot politique. Au profit du Centre qui rêve de reconquérir le siège perdu en 2003 avec la non-réélection de Ruth Metzler. Personne à l’époque n’avait osé imaginer pareil scénario. C’est reparti pour ces fameuses nuits des longs couteaux où les alliances et les complots les plus fous se trament dans les palaces bernois jusqu’au bout de la nuit.

Le poids de Blocher
Ad minima, il faut cent quatorze voix pour se faire élire. Le PLR ne dispose que de ternte-neuf suffrages. Première force politique et longtemps soutien inconditionnel de Cassis, l’UDC pourrait faire basculer l’élection en s’alliant au Centre et… avec la gauche. Beaucoup doutent de ce scénario, arguant de la nécessité d’une stabilité au sein du Conseil fédéral et du maintien des équilibres et de la formule magique. Certains pourraient être tentés de bouger les lignes et d’écouter l’opinion publique. Un récent sondage du site d’information Watson indique que 69 % des Suisses souhaitent « tuer la formule magique ». Désuète et pas assez représentative du pays réel.

Acte II. La succession du socialiste Alain Berset. La tradition veut que les parlementaires fédéraux respectent les tickets proposés par les partis. Encore très influent à Berne, Christoph
Blocher, le maître à penser de l’UDC, en appelle cette fois à l’élection d’un candidat « sauvage » – en dehors du ticket officiel désigné par le PS. Il est vrai que la désignation du Bâlois Beat Jans et du Grison Jon Pult ne déchaîne pas les passions sous la Coupole. Deux candidats ternes et peu engageants. Ce qui pourrait relancer les actions du poids lourd zurichois Daniel Jositsch.

Désavoué par les siens mais très populaire dans le camp bourgeois… et chez les parlementaires zurichois. Trente-sept siègent à l’Assemblée fédérale et souhaitent réparer l’outrage fait à leur canton – historiquement toujours avec un ou une représentant·e au Conseil fédéral. Ce scénario, que certains jugent également improbable, s’est produit à deux reprises. Avec Otto Stich, Willi Ritschard et Francis Matthey, trois ténors socialistes élus par l’Assemblée fédérale alors qu’ils n’avaient pas été désignés candidats par leur propre parti. La Berne fédérale et ses nuits des longs couteaux nous régale parfois de psychodrames et de coups de théâtre politiques.

Souvenez-vous, il y a tout juste un an, personne ou presque n’avait osé parier sur l’élection d’Élisabeth Baume-Schneider. Et pourtant… en devenant la première représentante du canton du Jura au Conseil fédéral, elle a démenti toutes les certitudes et tous les pronostics. Christoph Blocher en sait quelque chose : « En politique, on ne ment jamais autant que lors d’une élection au Conseil fédéral. »

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