Après vingt-trois ans de politique, dont seize comme conseiller communal du Locle, ce père de deux jeunes enfants raccroche… en partie. Interview de sortie
Ses deux plus beaux souvenirs en seize ans de Conseil communal ? Cédric Dupraz sourit. Hésite. Puis se lance. « Une réception au Kremlin, à Moscou, pour un anniversaire horloger. Il y avait des ministres, mais pas Poutine, qui n’était pas encore aussi cinglé qu’aujourd’hui. » Le second moment, c’est la visite avec une délégation neuchâteloise à l’Assemblée nationale française à Paris, pour le sauvetage de la ligne ferroviaire La Chaux-de-Fonds – Besançon. « On a mesuré toute la différence de nos systèmes politiques. » Et s’il devait mentionner une votation (gagnée), c’est celle pour l’initiative deux hôpitaux, qui a sauvé en 2017 un site de soins aigus dans les Montagnes. Mais la plus grande démonstration de l’union du Haut qui fait la force, à ses yeux, reste les célébrations du 10e anniversaire de l’inscription de l’urbanisme horloger à l’Unesco, en 2019.
« Nos deux villes ont réussi à monter un programme fantastique, qui a rythmé toute l’année et nous a fait rayonner au niveau suisse. Je me souviens de la cloche du 10e que nos deux villes sont arrivées à faire sonner à Alain Berset à Berne, au Palais fédéral. On a réussi une sorte de Capitale culturelle suisse avant l’heure », sourit le Popiste de 46 ans, qui représentait la Mère commune dans le comité de pilotage des festivités.
Le tout jeune Cédric Dupraz s’est fait connaître à l’époque des classements du Locle au dernier rang des villes de Suisse, avec le fameux tee-shirt « Le Locle va bien. Le Locle est fort. Le Locle vous emmerde ». L’autoproclamation de la Mère commune comme « Capitale mondiale de l’Amour » qui a suivi, il n’était pas pour. « Je trouvais que c’était trop de la communication, sans rien derrière… Mais au fil des ans, le concept, original et unique, m’a donné tort ! Les commerçants décorent les vitrines, il y a la série de BD, les délicieuses Boules du Locle et toutes les animations des acteurs locaux ».
Et en 2009, sur la place Espacité en liesse pour l’annonce de l’inscription Unesco, il s’est paraphrasé lui-même : La Chaux-de-Fonds et Le Locle vont bien. Sont fortes. Et vous em… brassent ! »
– Mais une fusion, c’est toujours non ?
– Les Brenets étaient demandeurs, en raison du manque de représentants politiques. Avec La Chaux-de-Fonds, je reste sur le non en regard du risque de dilution du lien politique, de la perte de proximité entre élus et population, sans oublier le risque de « balieurisation ».
– Le Haut, le Bas, complexe d’infériorité ou réalité ?
– En tant que politicien, quand on a une vision générale des données, on mesure que le déséquilibre des investissements est particulièrement grand entre les deux régions. Toutes les communes des Montagnes – à l’exception du Locle – ont des taux d’imposition plus haut, avec une capacité fiscale plus faible de leurs contribuables, alors que le Haut contribue pourtant de manière très importante au PIB cantonal. Ce n’est pas du « calimérisme » de le relever. Ceux qui le prétendent font de la malhonnêteté intellectuelle et économique.
– « Dupraz n’a pas fait grand-chose » : la pire critique que vous puissiez entendre ?
– Oui, mais… Personne ne me l’a jamais dit ! En tous cas pas en face. On m’a plutôt reproché d’être un stakhanoviste du boulot. Dans la crise qui a touché mon dicastère l’an passé (ndlr : il s’est vu retirer le service de l’urbanisme, dont des employés se sont dit être en souffrance), il m’a par exemple été reproché d’envoyer des mails hors des heures de bureau. J’ai toujours écouté l’avis des gens, et derrière, j’ai essayé d’agir en fonction de ça.
J’ai défendu cent cinquante rapports au Conseil général, et j’ai la réputation de les avoir toujours bien eus en main. Je n’ai jamais fait de funambulisme devant le conseil général, sauf pour des questions improbables surgies de nulle part ! (rires). Mais je ne me suis jamais mis en avant, à raconter tous mes faits et gestes.
– Une erreur ?
– Oui : si c’était à refaire, je communiquerais plus. Peut-être que je me suis rigidifié au fil des ans. On a pu me trouver dirigiste. J’ai entendu des « Dupraz commande et l’infanterie suit ». Mais c’est un peu le risque d’une telle fonction quand on a la passion… La collaboration de notre Conseil communal avec le journal Le Ô, avec douze pages officielles d’information à la population sur nos actions, nos projets, nos préoccupations et nos espoirs, est une manière d’améliorer la visibilité de notre travail.
– Cette crise vous a poussé à raccrocher ?
– On était à la fin d’un cycle avec l’ancien Exécutif. Mais c’est vrai qu’en regard de mon engagement quasi total pour ma ville, reconnu même par les autres partis, j’ai trouvé ces attaques saumâtres, d’autant plus que mes services ont connu en quinze ans un turn over quasi nul.
– Être personnage public à 100 %, le pire stress du métier ?
– C’est vrai qu’en entendant votre question (ndlr : et il a été plusieurs fois interrompu par des clients dans le bistrot de La Chaux-de-Fonds où il nous répond), je réalise que j’ai été seize ans à 100 % en représentation. Même si j’aime toujours rencontrer des gens, c’est une responsabilité, des contraintes, un contrôle sur soi permanent.
– Inquiet de retrouver un job ?
– Non : j’ai dix-huit mois devant mois pour rebondir. Après seize ans à l’Exécutif, on dispose d’une aide pour réussir une réinsertion. J’espère retrouver une fonction syndicale, comme quand j’étais secrétaire général de l’Association de défense des chômeurs sur le Littoral, ou dans l’enseignement.
– Fini la politique ?
– Je vais d’abord prendre le temps de souffler ! Retourner au Grand Conseil, pourquoi pas. Mais le POP marche fort, avec nombre de figures reconnues : Théo Bregnard, mon collègue Michael Berly, Armin Kapetanovic ou encore et côté femme Sarah Blum, mon épouse et bien d’autres.
– L’avenir des Montagnes ?
– Les contournements routiers sont une chance et un risque. Le Locle, comme La Chaux-de-Fonds, peuvent métamorphoser leur centre-ville, le rendre plus attractif, et toute la cité avec. Mais il faut une politique aussi volontariste que réfléchie. Je suis confiant pour nos Montagnes, aussi parce qu’elles vont devenir des refuges climatiques.
– L’avenir de la planète ?
– Pour paraphraser une citation, je dirais que je suis pessimiste quant au constat, mais optimiste quant aux solutions que notre jeunesse saura trouver. Bien sûr, je culpabilise un peu par rapport à ce fardeau qu’on leur impose : notre génération et la précédente ont bien profité, on ne s’est privé de rien. On a consommé le monde sans y réfléchir. Pour la suite, je crois en une résilience planétaire, même au niveau environnemental. On n’a pas le choix, sinon c’est la fin.