Le hoquet entre les mots

De ma fenêtre, je regarde les canards qui défilent sur le canal. Ils laissent un sillage qui se dilue dans les herbes immergées de la rive.

Sur l’écritoire, une page blanche attend patiemment. Le temps venu, je déroulerai mon écriture. Il y aura des ratures, soubresauts inconvenants, à l’image de ces hoquets qui troublent les discussions dans les soirées mondaines. Ce sont des impolitesses qui prennent leurs aises, des désagréments impromptus se dissimulant derrière le drapé d’un sourire ou d’une fausse indifférence.

Quand la matinée sera bien avancée, je retournerai à la rue des Cigognes. Lors de ma visite précédente, j’avais remarqué un samovar. Ce récipient russe qui hésite entre le fourneau et la théière, dont le nom provenant de la langue tatare, signifierait « fontaine à thé ».

Il y a, parait-il, au-delà de l’Oural dans la cuisine des isbas, une place réservée uniquement à cet ustensile. À sa gauche, contre le mur, est fixée une icône avec l’espoir d’écarter les malheurs qui pourraient troubler l’eau et rendre la boisson amère.

Si le prix est honnête, j’en ferai l’acquisition. Je me méfierai du petit singe empaillé et je fuirai son regard. Le marchand proposera des pistaches et je quitterai le magasin en tenant mon nouvel ustensile sous le bras.

Je possède un thé d’Arménie parfumé au jasmin. Avec le temps, il a perdu sa saveur. Si je le laisse infuser longtemps, peut-être qu’il retrouvera sa couleur ?

Est-ce que la plume court plus facilement sur le papier lorsqu’on a goûté à cette boisson ?

En attendant, toujours rien, de l’autre côté, sur le banc.

René Gori *

Dernière parution : Monographie « La place des samovars dans la peinture de Malevitch » (épuisé), Utrecht Éd. Épuisées (1970)

*Nom d’artiste, identité connue de la rédaction !

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