Industrie spatiale, mobilité… Ce ne sont pas les débouchés qui manquent pour les modules ultralégers qui sortent des labos du CSEM
Depuis quelques années, les panneaux solaires se déclinent aussi en mode ultraléger. Un marché spécialisé dans lequel le CSEM, Centre suisse d’innovation technologique de Neuchâtel, joue un rôle majeur en développant des modules pour le secteur spatial, l’aviation, mais aussi les voitures et le bâtiment ! Il équipe notamment les ailes de SolarStratos, l’avion de l’explorateur Raphaël Domjan dont l’objectif est d’atteindre la stratosphère, 20 km au-dessus de nos têtes, à la seule énergie solaire. Ce sont les panneaux du CSEM qu’on retrouve aussi sur les tout nouveaux containers de fret aérien solaire de la société Swiss Airtainer, à Yverdon. Spécialiste des modules ultralégers au CSEM, Pierrick Duvoisin fait le point sur la recherche pour Le Ô.
– Le solaire ultraléger, pour la mobilité, mais pas que ?
– Effectivement, les panneaux légers ont pris une place toujours plus grande pour intégrer des bâtiments industriels qui ne supportent pas des modules de 25 kilos. En ce qui concerne la mobilité, ça permet d’optimiser la surface active en épousant la forme des toits de voitures. On commence à avoir de la demande dans l’aviation pour intégrer des modules sur les ailes, comme on l’a fait pour SolarStratos, l’avion électrique et solaire de Raphaël Domjan (réd : dont le CSEM est un des partenaires). Autre marché important, les bateaux, qui présentent de grandes surfaces ensoleillées.
– Quel gain de poids avec un module ultraléger ?
– Un module standard pèse autour des 15 kg le m2. On descend à 700 grammes le m2 pour les modules les plus légers, utilisés dans l’industrie spatiale. Et il existe des modèles intermédiaires selon les besoins.
– Plus légers, donc plus chers ?
– Un module standard à 400 W fabriqué en Chine est vendu aujourd’hui en dessous de 100 francs. Un module produit en Europe coûte entre 200 et 300 francs. L’ultraléger est encore 20 à 30 % plus cher.
– Et la performance ?
– On est dans le même ordre de grandeur. Les performances électriques sont identiques aux modules standard.
– Sur le plan technologique, quelle est l’innovation ?
– Ça a beaucoup changé depuis 2015, l’année où j’ai rejoint le CSEM. À l’époque, la priorité était le développement des cellules. Aujourd’hui nos efforts se concentrent plutôt sur la mise en module. Comment protéger les cellules avec des matériaux innovants. Cette technologie n’est pas encore complètement mature.
– Dans quel sens ?
– On a pas mal de problèmes au niveau des encapsulants, étant donné qu’on n’a pas de surface de verre comme pour les modules standards. Notre recherche se concentre sur la qualité des polymères, qui englobent les cellules solaires, pour mieux les protéger des UV et des contraintes mécaniques et améliorer leur durabilité.
– Le défaut majeur des panneaux ultralégers, leur fragilité ?
– Oui, clairement.
– Un module léger est-il un module souple ?
– Pas forcément ! Dans les recherches que nous effectuons pour le CNES, le Centre national d’études spatiales à Toulouse (F), le client souhaite un store solaire qui soit léger mais suffisamment rigide pour être déployé.
– Les perspectives dans le domaine spatial ?
– Au CSEM, on se place au niveau de la stratosphère, entre 10 et 50 km d’altitude. Nous équipons des ballons scientifiques avec des lames solaires qui se déploient en haute altitude. Ça permet de transporter moins de batteries et de gagner en autonomie, et par conséquent d’augmenter la durée des missions. Une autre priorité, c’est la durabilité. Dans le spatial on avait une tendance à être dans un mode one shot. On lance tout ça en haut, on fait nos essais, et tout retombe sur terre… Aujourd’hui on cherche à réutiliser au maximum les modules, par souci économique et écologique.
– Vous êtes associé au projet d’avion solaire de Raphaël Domjan, quel est l’enjeu ?
– On a développé les cellules qui sont intégrées sur les ailes. L’idée n’est pas d’être totalement autonome mais de permettre un apport solaire pendant le vol pour monter jusqu’à la stratosphère. SolarStratos se veut un démonstrateur pour montrer le potentiel solaire dans l’aviation et envisager des vols commerciaux.
– Des avions solaires voleront demain ?
– Bonne question. Pour les vols commerciaux c’est compliqué, la densité énergétique est trop faible par rapport au carburant. Ceux qui cherchent à sortir du fossile vont plutôt sur des avions à hydrogène ou sur une option électrique avec batteries. Le projet H55 d’André Borschberg fait beaucoup dans ce domaine. Des petits avions électriques de quatre à cinq places qui relieraient les capitales européennes, ça va arriver tôt ou tard. Mais il ne faut pas imaginer des avions de huit cents personnes avec des batteries, il faut trop d’énergie pour ça.
– Retour sur terre, peut-on imaginer des voitures solaires ?
– L’apport d’énergie solaire, il faut le reconnaître, reste assez marginal. En optimisant la surface solaire sur un véhicule, on arrive à produire 1 kW maximum en plein été. Or une voiture comme une Tesla c’est 23 kW aux 100 km.
– Quel intérêt alors ? Symbolique ?
– D’abord c’est mieux que rien, et au niveau de la recherche ça fait du sens. Ça ouvre des perspectives innovantes pour des applications au sens plus large de la mobilité.