Depuis qu’il dispose d’un nom, Gustave, mon samovar, ne peut s’empêcher de papoter à tout va. J’ai découvert qu’il pratiquait plusieurs langues avec une prédilection pour le turc.
C’est un plaisant compagnon tenant compagnie durant les heures interminables où je demeure devant la fenêtre.
J’attends éperdument la fille sur le banc, de l’autre côté du canal, derrière les clapotis. J’attends jusqu’à ce que le lampadaire s’illumine.
Personne ne vient sauf la nuit. Je me retire dans la cuisine avec ma fontaine à thé installée sur le petit meuble à côté du fourneau.
Ce soir, Gustave, avec un grand sérieux, me demande si je connais le poids d’une plume. Je ne me suis jamais posé cette question, mais je comprends toujours l’importance de ce qui apparaît de prime abord comme un détail.
Toutes les plumes ont-elles le même poids ?
Celles du gypaète barbu ressemblent à la toison d’un mouflon mouillé, celles du canard glissent facilement sur les rivières, celles des poules se calfeutrent avec des allures de danseuses légères, celles des corbeaux transportent tous les charbons du monde, celles des perroquets répètent à l’infini de curieux motifs colorés, celles des canaris semblent tombées de la coquille d’un œuf, celles des manchots sont fusains sur la congère d’une page essoufflée, celles de l’autruche ventilent de la poussière, celles des hiboux arborent la teinte cendrée des incendies, celles des rouges-queues voltigent avec la timidité des êtres fragiles, celles des moineaux se dispersent sous la patte des chats.
Toutes singulières, toutes différentes. Mais celles des écrivains, font-elles assez de bruits lorsqu’elles grattent le papier ?
Dernière parution : éd. Épuisées (1970) : Mode d’emploi sur le bon usage des Tamtams Tonnerre, Éd. Épuisées, 1970, 270 p. ill.
*Identité connue de la rédaction.