Grande interview de Daniel Pheulpin, directeur général de Viteos, qui aborde avec Le Ô son parcours et les points chauds en matière d’énergie
Un large sourire, la carrure du hockeyeur qu’il a été : le big boss de Viteos ne passe pas inaperçu. Daniel Pheulpin a la haute main sur les robinets d’eau, de gaz, d’électricité, de chauffage à distance depuis 2020. Comme fournisseur d’énergie le plus important du canton, c’est un acteur clé de la transition écologique. Bonne nouvelle pour le consommateur, après deux années de fortes hausses, les prix de l’électricité devraient baisser en 2025. Interview sur les enjeux de ces prochaines années.
– Comment voyez-vous votre rôle dans la transition énergétique ?
– Notre mission est de fournir des solutions énergétiques globales et durables. Nous souhaitons contribuer à réduire l’impact climatique de la consommation d’énergie.
– Comment, concrètement ?
– On investit beaucoup dans le photovoltaïque. Comme c’est une énergie peu controversée, on peut avancer rapidement. Un autre levier important est le chauffage, qui représente la moitié de notre consommation d’énergie. Dans le canton, près de 80 % sont des importations, principalement fossiles, gaz naturel, charbon, mazout. On diminuera cette dépendance en augmentant la production de biogaz et du renouvelable pour alimenter le chauffage à distance. Dernier point, nos conseils aux clients pour plus de sobriété énergétique.
– Prix de l’électricité : à combien revient la facture pour un ménage moyen ?
– Pour un ménage moyen qui consommerait 3500 kWh, la facture s’élève environ à CHF 1560.- par année.
– Pourquoi Viteos est plus cher que le Groupe E (environ 41 cts le kWh contre 32) ?
– Viteos est un petit producteur d’électricité. On a dû s’approvisionner sur les marchés à un moment où les prix étaient très élevés.
– Pourquoi les tarifs ont encore augmenté de 23 % en 2024, après la forte hausse de 50 % en 2023, alors qu’on observe une détente sur les marchés ?
– Nous achetons l’énergie en tranches sur trois ans pour stabiliser les prix. L’électricité distribuée en 2024 a été achetée en 2021, 2022, 2023. La moyenne de ces tois années fait que les prix ont encore augmenté en 2024.
– Est-ce que vous profitez de la crise pour remplir les caisses ?
– Non. L’électricité est un domaine régulé. On ne peut pas faire des profits, comme les grands producteurs d’électricité qui revendent sur le marché. Une hausse des prix n’augmente pas nos bénéfices.
– Peut-on annoncer une baisse des tarifs ? Quand et combien ?
– Les nouveaux tarifs seront annoncés fin août. La baisse des prix sur les marchés devrait profiter à nos clients. En outre, Swissgrid, le réseau à très haute tension, a annoncé des baisses de tarifs, et les coûts de la réserve hivernale imposée par le Conseil fédéral baisseront également.
– Viteos rachète l’électricité produite par les particuliers 24,5 cts le kWh, alors que vous la vendez quasi deux fois plus cher. Pourquoi cet écart ?
– Le tarif de reprise a presque doublé en 2023. Mais il faut savoir que l’électricité que nous vendons inclut l’utilisation du réseau et les taxes, contrairement à celle qu’on achète aux particuliers. Si on compare la part énergie, elle est très proche à 22,20 cts le kWh.
– Le photovoltaïque reste largement sous-exploité. Pourquoi ?
– Il y a plusieurs raisons. La pénurie de main d’œuvre empêche de répondre aussi vite qu’on le souhaiterait à toutes les sollicitations. Le Covid a perturbé les chaînes d’approvisionnement, on s’est retrouvé en manque d’onduleurs. Et le prix de l’électricité a longtemps été si bas que l’installation de panneaux solaires n’était que peu rentable.
– À quand des compteurs électriques intelligents dans chaque ménage pour connaître sa consommation en temps réel ?
– On est en train de les installer. Notre objectif est de renouveler 95 % des compteurs d’ici fin 2025. Chaque ménage aura une visibilité de ce qu’il consomme, on lui fournira chaque jour la courbe de charge de la veille. C’est un instrument important pour faire des économies d’énergie.
– Il y a toujours un tarif plus favorable la nuit ?
– Oui, mais ça a tendance à disparaître. Avant on avait les centrales nucléaires qui produisaient toute la nuit avec peu de consommation. Avec l’énergie solaire, le pic de la production est décalé vers midi, l’électricité coûtera moins cher durant certaines périodes de la journée. À l’avenir on peut imaginer une tarification plus flexible.
– Viteos va investir 650 millions de francs sur dix ans. Pour financer la transition énergétique ?
– En grande partie oui.
– Les projets prioritaires ?
– L’extension du chauffage à distance, plus de 300 millions. On veut augmenter notre production d’énergie indigène décarbonée, photovoltaïque et biogaz. On investit dans le réseau et on propose des solutions à nos clients telles les pompes à chaleur, les pellets, les bornes de recharge…
– Et aussi le nouveau bâtiment principal de Viteos construit à La Chaux-de-Fonds ?
– Oui, c’est prévu pour 2027. On va y regrouper toute la partie administrative, ça réduira beaucoup les déplacements et les frais de fonctionnement.
– Qui va financer ces 650 millions ? Le consommateur ?
– Viteos investit une grande partie. Mais on sollicite aussi les instituts bancaires et les caisses de prévoyance. Sur le long terme, évidemment, ce plan d’investissements est financé au travers du kWh vendu aux consommateurs.
– C’est le prix de la transition énergétique ? Les tarifs vont forcément augmenter ?
– Pas forcément, mais les énergies fossiles sont très bon marché, leur coût n’inclut pas les effets néfastes sur le climat. Le renouvelable coûte plus cher mais, s’il se généralise, on devrait pouvoir maintenir des prix compétitifs. Ne rien faire finirait par coûter plus cher, surtout aux prochaines générations.
– Dans le futur, il faudra plus d’électricité ?
– Tous les experts ne sont pas alignés sur les chiffres, mais oui ! En Suisse on consomme 60 terawattheure, on sera entre 80 et 100 à l’horizon 2050 ! Malgré les progrès en matière d’efficience, l’augmentation est liée à l’électrification des voitures, du chauffage, et aussi à l’augmentation de la population.
– Est-on encore en situation de crise énergétique ?
– À court terme, la situation s’est détendue. Les réserves de gaz sont bien remplies, le parc nucléaire français a retrouvé un bon niveau, on a eu des hivers moins rigoureux. À plus long terme, avec l’augmentation de la consommation, la sortie progressive du nucléaire, il faudra trouver de nouvelles sources de production d’électricité si on veut éviter une trop forte dépendance de l’étranger. La pénurie n’est pas à l’ordre du jour, mais elle peut revenir au galop !