Au siècle des Lumières, des éditeurs contournaient la censure et publiaient Rousseau et Voltaire
Prisonnier dans le donjon de la Bastille en même temps que le marquis de Sade, le comte de Mirabeau demeure l’un des plus illustres auteurs à avoir été clandestinement publiés à Neuchâtel. Des textes érotiques et libertins à l’adresse de sa maîtresse, la marquise Sophie, et des ouvrages plus politiques, comme son célèbre essai contre le despotisme. Imprimé et diffusé en réalité depuis Neuchâtel, l’Erotika-Biblion, édité en 1783 de façon surprenante, fait référence à l’imprimerie du Vatican. Une façon de brouiller les pistes et d’éviter le joug de la censure. Une conférence de l’historien neuchâtelois Michel Schlup dressera ce mardi 20 octobre le tableau passionnant et méconnu de l’édition neuchâteloise dans l’Europe des Lumières.
À l’appui d’une documentation inédite, il retrace le destin singulier de Samuel Fauche, un modeste libraire neuchâtelois devenu l’un des plus célèbres éditeurs de son temps, membre fondateur de la fameuse et toute puissante Société typographique de Neuchâtel. Son livre passionant publié en 2022 (Éd. Alphil) retrace la trajectoire « d’un bourgeois miséreux (…) qui réussit à se faire une place à la faveur de conditions locales très favorables à l’édition et à la contrefaçon des ouvrages censurés en France mais aussi d’un incontestable talent commercial qui ne s’embarrasse pas trop de scrupules. »
Samuel Fauche côtoie et publie des écrivains de grand renom tels que Voltaire et Rousseau – à qui il propose l’édition complète de ses œuvres. Spécialiste de livres obscènes et d’œuvres licencieuses, il publie Thérèse Philosophe, un grand classique de la littérature érotique du XVIIIe siècle. Jean-Baptiste de Boyer, marquis d’Argens, romance la relation d’une jeune femme avec un prêtre beaucoup plus âgé. Une dénonciation de l’exploitation sexuelle par le clergé. Un ouvrage féministe précurseur – revendiquant pour la femme la liberté de disposer de son corps, d’éprouver du plaisir et de refuser la maternité.
Des livres interdits, diffusés clandestinement avec l’aide de contrebandiers et de libraires initiés. C’est dans cette fresque d’un monde souterrain et interlope que Michel Schlup va nous immerger. Le récit secret du monde l’édition neuchâteloise au siècle des Lumières et la complexité de la société à l’époque de la Principauté. Le courage et le culot d’un éditeur qui va marquer l’histoire – reliant et imprimant des chefs d’œuvre dans le secret d’un atelier exigu et bruyant – et qui a fini par convaincre les plus grands auteurs de son époque à imprimer leurs ouvrages à Neuchâtel.
Club 44, mardi 22 octobre 2024, 20h15, conférence de Michel Schlup, historien et ancien directeur de la BPU de Neuchâtel.