Si je laissais aller ma plume qui écrit en brun ou en turquoise, si j’abandonnais mes doigts sur un clavier qui passe à portée de main, je me demande, à l’instar des surréalistes découvrant l’écriture automatique, ce que mon cerveau cache encore en ses méandres inatteignables à la raison.
J’y découvrirais peut-être une vieille histoire d’amour, il était Allemand, nous étions en Bolivie, au Luxembourg, à Stuttgart.
Je dirais à la psy que l’affaire s’est réglée après trente-six ans de mystère.
Me revoilà dans le tangible et le raisonnable.
Mais très vite, l’acte d’écrire, tortueux en diable, m’ouvrirait la porte d’années au pas de course à travers les continents. Pas eu le temps d’apprécier, ni de m’arrêter pour mieux jouir de la nature grandiose qui m’entourait.
L’écriture pourrait rappeler la majesté des chutes d’Iguaçu, la terreur dans le regard des enfants, un jour à Bagdad, la chute des Twins en Technicolor et en direct. Et cette emmerdeuse de Joconde qui me contemple toujours avec son sourire idiot.
L’écriture automatique divague, les mots jaillissent : océan, chevaux au galop dans les ruines de Pripyat, bureau noir recouvert de poussière, fleur jaune, dauphin, feu d’enfer – peut-être en Islande –, lave-linge, train, tocsin, grenier (de la mémoire ?), épave, squelette, cinéma… aucun sens à ce bricolage de termes qui jaillissent.
Les surréalistes, eux, avaient du génie.
Et pourtant, chacun de ces vocables ou expressions éveille une image, morte à peine a-t-elle été esquissée. Et un temps de vie accordé est déjà achevé.
Reste une nuit noire et solitaire à jamais.
Dernière parution : Noire est la Suisse, éd. Notre Temps, 2016 et divers articles dans Le Ô