Le « tu » gêne Éric

Étudiante véto, Sophie a déniché le merle blanc pour réviser. Un garçon quasi à un saut de chat du Master. Amateur de bière, un poil rigide, mais parmi les premiers de sa volée. Un soir, malicieuse, elle lui demanda : « Éric, peux-tu envisager la possibilité d’être sobre tout en travaillant entre deux zoos ? » Il fit une grimace et éluda vite la question.

Sinon, l’entente entre eux est excellente. Ils aiment aussi digresser sur bon nombre de sujets. Ils se racontent leurs week-ends, leurs lectures. Une fois, un peu tendu, Éric confie à Sophie : « Je donne des cours de math à la fille de mes voisins et cette gamine – qui en l’occurrence me vouvoie – a une fâcheuse propension à utiliser le « tu » dans toutes les situations de sa vie. Écoute ses dires : « Hier, j’ai fait une balade et TU te serais cru dans une autre dimension, TU oublies tout, TU revis, TU ne penses plus à rien, TU es libre ! » C’est tout juste si elle ne renchérit pas : « Et toi qu’en penses-TU ? » Ça m’horripile !

Mais non, bondit Sophie : « Il s’agit du certes peu élégant, « tu générique » à la place du « on », mais cette fille t’apprécie et elle te met en scène dans un épisode heureux de ce qu’elle a vécu. Par ailleurs, bon nombre d’écrivains jouent avec ce « tu ». Écoute le maire de Béziers, c’est un pro du genre ! Et puis toi, le prof de math et futur véto, au lieu de chinoiser avec ces « tu », explique-lui plutôt dans tes cours, « le Cheval de Troie, la Pieuvre par Neuf, voire Pie XII ». »

Oui, j’entends bien, cependant, quant à moi : « Je déteste cette façon de s’exprimer. J’ai l’impression d’être pris, contre mon gré, dans son récit, d’être son otage. Rien à battre de sa promenade, c’est une insulte à Rousseau… « Il en déjeunerait de ses larmes »! »

J’ai une idée, glisse Sophie : « Je vais pondre un article dans le Canard déchaîné (journal des vétos en herbes) avec pour titre : Le  »tu » gêne Éric. » « Fais pas ça, tu es folle ! » Puis ils se vouvoyèrent en riant… le temps de savourer deux fleurs du malt.

 

 

 

Par Michel Bossy

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