Paroles de femmes

Par Anthony Picard

Manuela Surdez, cheffe d’entreprise, Goldec
Ex-présidente de la BCN, elle a longtemps évolué dans des milieux masculins. 

– Au travail, avez-vous constaté des différences entre genres ?
– Non mais il faut nuancer. Engagée dans un poste à responsabilités, j’ai remarqué que les gens adaptent leur comportement en présence de femmes. Dans « l’opérationnel », les cas de mobbing, de harcèlement et de violences familiales concernaient toujours des collaboratrices. Cela signifie que des choses se passent même si elles sont cachées.

– Dans d’autres situations ?
– Comme administratrice, j’ai été confrontée à un homme qui refusait que je sois sa supérieure hiérarchique. C’est très pénible et il m’a fallu ténacité et volonté pour franchir cette période compliquée. Cette expérience est la seule à laquelle j’ai dû faire face mais j’ai la conviction que ces travers existent toujours.

– Et à votre domicile ?
– Oui, car je suis d’une génération où la femme assumait la grande partie des tâches domestiques et familiales, comme s’occuper des enfants tout en travaillant.

– Les choses s’améliorent-elles ?
– Oui et non. Les nouvelles générations intègrent l’idée qu’une femme exerce une carrière professionnelle aussi bien qu’un homme mais il reste des hommes qui considèrent que les femmes n’ont pas leur place dans les postes à responsabilités.

– Chez Goldec, les hommes sont-ils mieux payés ?
– Notre entreprise est certifiée Fair-on-Pay et ne fait aucune différence.

– Comment vous engagez-vous pour davantage d’égalité ?
– En recrutant la personne la plus compétente, en favorisant les candidatures féminines quand l’équilibre fait défaut et en garantissant des procédures équitables.

 

Vanessa Faustini, cadranographe, mère de 2 enfants, elle travaille chez un cadranier des Montagnes.

– Constatez-vous des différences entre genres au travail ou ailleurs dans la société ?
– Au travail, pas du tout. Mon employeur veille à respecter la parité et je ne crois pas me tromper en indiquant que la majorité des postes-clés sont occupés par des femmes. À mon domicile, entre amis ou dans mes loisirs, les choses se passent de manière équilibrée parce que le choix des bonnes fréquentations m’appartient.

– Avez-vous l’impression que la cause des femmes s’améliore ?
– Oui, c’est mon sentiment. Aujourd’hui, elle s’améliore même s’il reste encore des progrès à accomplir, notamment sur les revenus.

– Sur votre lieu de travail, les hommes sont-ils davantage payés ?
– L’entreprise qui m’emploie met un point d’honneur à rémunérer le travail sans différencier les genres.

– Violences domestiques, en avez-vous subies ?
– Oui malheureusement. « Dans une autre vie », la TSR proposait que je raconte mon histoire de femme battue et j’avais refusé car c’était trop frais. Aujourd’hui, je serais prête à témoigner à visage découvert car c’est uniquement en dénonçant les actes de violence domestique que les choses changeront.

– Quelles sont vos solutions pour davantage d’égalité ?
– Faire évoluer les choses appartient à la société. Il faut poser un cadre clair et précis pour mesurer, contrôler et dénoncer… mais tout le monde n’est peut-être pas de cet avis.

 

Céline Dupraz, juriste, Unia
Elle confirme que les comportements sexistes restent fréquents.

– En 2025, Unia est-il encore sollicité pour des comportements sexistes ?
– Oui, avec des cas reportés de harcèlement sexuel (paroles et / ou gestes déplacés) ou de discrimination, notamment envers les femmes enceintes ou les mères de jeunes enfants. Celles qui ont le courage de s’exprimer sont rares ; les autres victimes, souvent précarisées, se taisent de peur des conséquences d’une dénonciation, comme celle de perdre leur travail.

– La violence verbale, physique, psychologique, sexuelle et économique touche d’abord les femmes et les enfants. Comment donner plus facilement la parole aux victimes ?
– Ce groupe de victimes est une cible facile, car considéré comme plus faible sur le plan physique et émotionnel. Pour que les cas remontent, il faut améliorer l’information et former les professionnels (associations, tribunaux, police ou autres) sur les moyens d’actions et le droit des victimes.

– Le sexisme est-il plus marqué en fonction du genre du chef / de la cheffe ?
– Il n’est pas possible de tirer des généralités. Le management patriarcal opéré par les dirigeants masculins dénigrant les femmes est une cause. Les femmes de pouvoir qui ont tendance à rabaisser leurs semblables est en augmentation et montre que la sororité peut laisser place à une concurrence malsaine ou une fierté démesurée.

– Des sociétés qui bafouent le droit des femmes, des fronts qui se cristallisent davantage. Une lutte perdue d’avance ?
– Il ne s’agit pas que de discrimination par genre mais de rabaissement systémique des minorités. Ce fléau perdurera tant que les minorités seront traitées comme telles. Pour moi, l’égalité débute là où les clivages s’arrêtent : on n’engage pas une personne parce que c’est un homme ou une femme, mais parce qu’il ou elle a les compétences requises pour le poste. Pareil pour la nationalité, l’âge ou d’autres critères subjectifs. Lutter contre cette forme d’apartheid prend du temps mais la société évolue et les états y veillent.

 

Núria Sánchez-Mira, sociologue, UniNE
Elle met en garde contre une recrudescence de la misogynie.

– Comment expliquer la persistance du sexisme ?
– Il persiste car il est profondément ancré dans des structures sociales, institutionnelles et culturelles qui organisent la hiérarchisation des genres. Chez nous, les politiques publiques contribuent à reproduire un modèle de division sexuelle du travail. L’homme est institué comme le principal pourvoyeur économique, tandis que la femme est la principale responsable des tâches domestiques et du care, et participe au marché du travail de manière secondaire, souvent à temps partiel.

– Des sociétés aux fronts politiques opposés, des chefs d’états qui traitent les opposants d’ennemis. Selon vous, des facteurs aggravants ?
– En effet, depuis une décennie, nous observons une tendance régressive alimentée par la montée des mouvements d’extrême droite en Europe et aux États-Unis en réaction à la crise financière de 2008. Elle se traduit par un backlash contre les droits sociaux, sexuels et reproductifs des femmes et des communautés LGBTQI puis par des attaques contre les politiques d’égalité de genre et diversité, notamment avec l’essor de l’administration Trump.

– Comment améliorer les choses sans verser dans l’angélisme ?
– Le sexisme est incrusté dans diverses sphères sociales : la valorisation des professions, les cultures organisationnelles, les rapports domestiques, la conception des politiques familiales, entre autres. Il faut donc agir sur une pluralité de fronts. Simultanément, la misogynie évolue vers une stratégie politique délibérée, amplifiée par les réseaux sociaux et instrumentalisée pour mobiliser le soutien aux agendas anti-genre. Contrer ces attaques est une tâche essentielle pour progresser vers l’égalité.

 

 

Manuela Surdez
Manuela Surdez

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