Vingt ans après. Capitale Culturelle Suisse et Expo 2027 sont en gestation et Francis Matthey, capitaine qui brava toutes les tempêtes, le redit : « la Suisse a besoin de ces défis ».
Il l’a dit après cinq ans. Il l’a répété en 2012. Aujourd’hui, 20 ans après, l’affirmation demeure : « La Suisse avait besoin d’un tel événement ». Le propos n’a rien de nouveau, mais son intérêt tient justement dans cette immanence : elle caractérise le message que Francis Matthey porte avec la force et la conviction qui ont marqué son parcours de titan de la politique suisse, et qui l’ont vu refuser son élection au Conseil fédéral le 3 mars 1993. Il n’y a rien de passéiste quand il serre les poings en évoquant les tempêtes qui ont failli couler l’Expo. Ni quand son regard s’embue. Ou quand le presque octogénaire parle du dessin du monolithe de Morat que lui a fait sa petite-fille. C’est pour mieux se tourner avec la force et la détermination qui lui ont fait déplacer des montages, vers les nouveaux grands projets du pays: capitale culturelle Suisse à La Chaux-de-Fonds et l’Expo 2027.
LE MONOLITHE
« L’élément structurant. Pas seulement pour Morat. Ce projet de Jean Nouvel a suscité un formidable engouement. Posé sur le lac, il illustrait les espaces que l’Expo voulait ouvrir, les perspectives qu’elle voulait donner. Ma petite-fille, à qui j’ai dit lors de notre visite « regarde-le bien, on ne le verra plus jamais », m’avait répondu « ce n’est pas grave, je te le dessinerai ! » (réd : dessin qu’il garde toujours, voir ci-contre).
LE FINANCEMENT
On attendait des apports bien plus lourds de l’économie privée. Ils n’ont pas été à la hauteur des espoirs (réd : 191 millions de francs de moins que prévu). Il a fallu des rallonges du Conseil fédéral (réd : qui a déboursé au final 930 mios sur le total de 1,6 milliard de francs), des Cantons et des villes concernés.
LA DURETÉ DES BATAILLES
« Il a fallu sans arrêt se battre. Pour Expo.01, puis après le report, pour Expo.02. Mon souvenir de la phase de construction, c’est celui de nuits entières sans sommeil. Le combat a été lourd. Très lourd. J’ai le souvenir d’une séance du comité stratégique à Neuchâtel où je me suis trouvé tout seul au bout de l’immense table : tout le monde avait f… le camp ! Le rapport Hayek (réd : qui a débouché sur le report à 2002) a aussi été un moment dur à passer. Il a fallu ensuite reconstruire la confiance. Il a fallu affronter des campagnes médiatiques terribles. J’ai pris beaucoup de coups. Mes proches aussi… (soupir). Il a fallu tenir : plus d’une fois le projet a failli couler. Mais au final, Expo.02 a marqué l’histoire de la Suisse. »
LE BONHEUR DES FOULES
« Le plus beau souvenir, c’est le plaisir et le sourire des gens qui entraient sur les arteplages. Il est aussi familial, avec la nuit passée avec mes proches dans un des tipis de l’Expo. Il y a eu plus de 10 millions de visiteurs, mais seulement 500’000 étrangers. On espérait le double. La cherté du franc a pesé. »
COHÉSION À CULTIVER
« Cette réalisation majeure a répondu à un besoin. Réussir à construire ce projet fou de six mois, sur quatre sites et l’arteplage mobile du Jura, ça donne de l’unité, ça raffermit les relations au sein du pays. En tirant des perspectives, en demandant où veut aller la Suisse, on cultive la cohésion nationale. C’est indispensable. Expo.02 a laissé dans tout le pays des traces de bonheur. On n’a pas fait Expo.02 pour nous, mais pour la jeunesse d’alors, pour qu’elle se projette dans l’avenir. Pour montrer ce que la Suisse peut faire ! Pour leur apprendre l’enthousiasme. »
« AVOIR TOUT RASÉ… »
« Ephémère : c’était le concept. Tout devait disparaître. On a mesuré trop tard qu’il aurait fallu garder une trace. Chaque arteplage aurait pu conserver au moins un de ses éléments marquants. C’est un regret, mais les chambres fédérales en avaient décidé ainsi. » Les Yverdonnois ont refusé de sauver le nuage « Blur ». Le monolithe n’a pas trouvé grâce à Morat. Neuchâtel a vu la boule de bois géante du Palais de l’équilibre filer au CERN à Genève. Le pavillon Biopolis, qui projetait les visiteurs dans une ville… en 2022, est devenu le siège d’entreprises de construction sur le plateau de la gare à Boudry. La plateforme mobile d’événements Das Zelt, conservée à Bienne, sera le théâtre d’une fête des 20 ans le 14 mai prochain.
Capitale Culturelle Suisse : « toute la région peut rayonner »
La Suisse vit une exposition nationale tous les vingt-cinq ans environ. Il est question de 2027 pour le prochain raout, mais un autre rendez-vous se prépare à La Chaux-de-Fonds : la capitale des Montagnes neuchâteloises pourrait devenir en 2024 ou 2025 la première Capitale culturelle suisse. Francis Matthey y croit. « Oui. Et c’est bien de ne pas commencer à Bâle, Zurich ou Genève. Ce projet peut être fédérateur. Il doit être celui du Jura suisse et du canton de Neuchâtel, ancré à La Chaux-de-Fonds. Il peut faire rayonner toute cette partie du pays. Il donnera de la force, de la créativité. Incontestablement ».