La poudrière des Balkans

Olivier Kohler

Indépendant depuis 2008, le Kosovo est confronté à l’épreuve d’une période de fortes turbulences et de tensions avec Belgrade. Décryptage avec Jean-Hubert Lebet, ambassadeur suisse à Pristina de 2016 à 2020.

On a coutume de surnommer le Kosovo le 27e canton suisse en raison de l’importance des liens qui unissent nos deux pays. Forte de 200 000 habitants, la diaspora kosovare constitue la première communauté étrangère de Suisse. La diplomatie suisse a joué un rôle déterminant pour que le plus jeune Etat des Balkans puisse proclamer son indépendance et amorcer la pacification et une transition démocratique après le conflit avec la Serbie – acte ultime de la tragédie yougoslave.

L’histoire se répète aujourd’hui dans les ténèbres du Nord du Kosovo où des affrontements d’une rare violence ont opposé la minorité serbe à des membres de la KFOR. « Belgrade n’admet toujours pas avoir perdu la guerre et considère toujours le Kosovo comme son berceau originel. Aleksandar Vučić, le président ultra-nationaliste serbe, n’a de cesse de mettre de l’huile sur le feu et d’instrumentaliser ces minorités serbes à des fins de politique intérieure », analyse Jean-Hubert Lebet, ancien diplomate et observateur attentif de la situation dans les Balkans.

Le contexte historique et géopolitique est complexe. Une terre, deux peuples. Une réconciliation improbable et incertaine entre communautés serbe et kosovare. L’éclatement de la guerre en Ukraine complique encore plus la donne. « La Serbie est clairement alignée avec Moscou et la Chine. Vladimir Poutine y trouve son compte en alimentant à peu de frais ces foyers de tensions aux portes de l’Europe », explique Jean-Hubert Lebet. « Pays sous influence occidentale et américaine, le Kosovo est une cible de choix. Cette stratégie de la tension pourrait se propager à d’autres pays des Balkans : le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine ». Le souffle de l’ultranationalisme ravive le spectre de perspectives sombres.  La Serbie n’est pas la seule à être incriminée. La gouvernance du Kosovo l’est aussi.

Deux millions d’habitants vivent sous perfusion de l’argent de la diaspora kosovare et de l’aide internationale : 4.5 milliards de francs en 2021. « Le problème est fondamentalement politique. La gouvernance de ces états est déplorable et les autorités, souvent corrompues mais surtout incompétentes, concentrent leurs actions pour rester au pouvoir et piller et mettre leurs pays en coupes réglées, au vu et au su de donateurs complaisants. », analyse Jean-Hubert Lebet. 

Le Kosovo n’a pas fait exception à cette règle jusqu’aux élections de 2019, par lesquelles les électeurs ont porté au pouvoir Albin Kurti, écartant de ce fait l’ancienne classe gouvernante. « Grâce à Albin Kurti, les citoyens kosovars ont pu saisir une alternative en permettant à de nouvelles forces d’exercer le pouvoir. Elles ont engagé des réformes, facilitées par le fait que les principaux anciens dirigeants ont été livrés à la justice internationale. Il a surtout pris la mesure de l’étendue des dégâts de la politique de ses prédécesseurs ».

Jean-Hubert Lebet, ambassadeur suisse au Kosovo de 2016 à 2020. (Photo : Albinfo)
Jean-Hubert Lebet, ambassadeur suisse au Kosovo de 2016 à 2020. (Photo : Albinfo)

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