Les enjeux de la crise turque
Des millions de citoyens turcs manifestent sans relâche depuis une semaine pour réclamer la libération du charismatique maire d’Istanbul, devenu la bête noire d’Ankara. Incarcéré le jour même de l’élection primaire qui devait le désigner comme candidat à l’élection présidentielle de 2028, il est accusé de corruption et de soutien aux « terroristes » de mouvement nationaliste turc du PKK. Ses partisans dénoncent une « machination judicaire » et un « coup d’état politique », destiné à faire taire celui qui incarne le rêve d’une alternance politique en Turquie après deux décennies de règne sans partage de Recep Tayyip Erdogan.
Initialement destinée aux seuls partisans du parti républicain du peuple, le principal parti d’opposition turc, cette élection primaire a finalement cristallisé une soif de changement dans un pays profondément divisé entre la tentation d’un retour à une Turquie laïque et moderne et les partisans d’un régime autoritaire d’inspiration islamofasciste. Cette consultation interne, qui a mobilisé 13 millions d’électeurs turcs, s’est muée en référendum pour ou contre la dictature. Muselée depuis la tentative de coup d’état de 2016, où des militaires putschistes avaient été décapités en plein cœur d’Istanbul, l’opposition connaît un sursaut et un souffle nouveau qui pourraient sonner le crépuscule d’un régime qui n’a eu de cesse de mettre en œuvre depuis des années l’affaiblissement systématique de l’état de droit et le détricotage des contre-pouvoirs.
Adoption de lois liberticides, destitutions de maires de l’opposition « kemaliste », arrestations arbitraires d’opposants et d’intellectuels, la Turquie a basculé dans l’autocratie totale. Son pouvoir vacille aujourd’hui face au mécontentement croissant de la population, confrontée une inflation historique et à la réduction spectaculaire de son pouvoir d’achat.