Laure-Emmanuelle Perret, figure incontournable de la transition photovoltaïque de notre canton, s’engage pour un monde meilleur décarboné
Scientifique engagée, citoyenne dit-elle, pour la construction d’un monde meilleur et sans carbone, Laure-Emmanuelle Perret est la figure incontournable de la transition énergétique dans le canton de Neuchâtel. À la tête de la société LMNT, elle accompagne les architectes et les collectivités publiques qui veulent se lancer dans le solaire.
Mère de trois enfants, elle a déjà un parcours impressionnant dans un milieu plutôt masculin. Docteure en chimie, des postdocs en microtechnique et en physique, elle a été l’une des premières femmes cheffe au CSEM, où elle a développé une nouvelle génération de panneaux solaires blancs et en couleur, ainsi qu’une technologie pour y imprimer des photos.
Laure-Emmanuelle Perret a quitté les labos pour accélérer l’essor photovoltaïque dans la vraie vie. Elle a cofondé Compàz, qui promeut des panneaux solaires artistiques. Elle siège dans les conseils d’administration du Groupe E, de Migros Neuchâtel-Fribourg, et au comité directeur de Minergie Suisse. C’est une personnalité brillante et réservée qui porte un regard critique sur la science. Interview.
– D’où vient votre engagement dans la transition énergétique ?
– Mon intérêt pour les sciences, c’est d’abord la curiosité. J’aime comprendre comment fonctionne le monde. Mon grand-père était physicien, l’un des fondateurs du CERN. Pour moi la chimie était comme un Lego, qui permet de créer des molécules en assemblant des atomes. Après cette période de recherche fondamentale j’ai eu besoin de concret et d’action.
– Comment êtes-vous tombée dans le panneau solaire ?
– J’y suis tombée grâce au projet de Solar Impulse ! L’idée de construire un avion solaire… Je voulais absolument travailler avec ces gens, qui ont des rêves et qui vont y arriver.
– Comment vous qualifier ? Militante, superwoman… ?
– Superwoman en tous cas pas. Militante oui, mais je préfère les mots de citoyenne engagée.
– Vous avez fondé la société LMNT pour conseiller les architectes et les collectivités publiques…
– Oui, ce qui m’intéresse c’est d’intégrer le solaire comme matériau de construction, que ça soit en toiture ou en façade, en tenant compte des contraintes.
– Mais… La mobilité, les voitures, les avions ne polluent pas plus ?
– Le parc immobilier est responsable 60 % de nos émissions de CO2. Il y a une urgence absolue à rénover car ces émissions proviennent d’une mauvaise isolation des bâtiments et par conséquent d’une surconsommation de chauffage.
– Vous êtes très sollicitée ?
– (rires) Je pourrais l’être plus ! Mais il y a une immense différence depuis cinq ans. Les résistances sont souvent liées à un manque de connaissances. Il y a beaucoup de fausses idées, que le solaire est très cher, que la durée de vie des installations est courte, l’efficacité insuffisante…
– Au vrai, ça coûte plus cher ?
– L’investissement est plus cher, mais l’exploitation ensuite est favorable. Surtout avec l’augmentation des tarifs de l’électricité. Financièrement ça devient super rentable !
– Après combien de temps ?
– Ça dépend. Une toiture plate c’est après sept à dix ans. Une façade après quinze à vingt ans. Il faut compter entre 300 et 500 francs pour un panneau solaire installé en façade, un panneau coloré fait sur mesure.
– En Suisse, le potentiel solaire est sous-exploité ?
– Largement ! La Suisse n’est qu’à 6 % du potentiel solaire de nos toitures. Et les façades c’est encore moins.
– Pourquoi ?
– Il manquait une volonté politique de faire une vraie transition énergétique. Maintenant on observe une augmentation des nouvelles installations quasi exponentielle. C’est réjouissant, mais ça arrive un peu tard et nos infrastructures ne sont pas prêtes. Il faut de gros investissements pour renforcer le réseau, gérer le stockage. De plus on est confronté à un manque de personnel. Il n’y a pas assez d’électriciens et d’installateurs. On n’a pas anticipé !
– La Suisse a traîné les pieds, et Neuchâtel ?
– Par rapport à la Suisse, Neuchâtel est dans la bonne moyenne.
– Grâce à vous ?
– Non, mais quand même grâce à la présence du CSEM. Avec l’EPFL, ça fait une centaine d’ingénieurs qui travaillent dans le solaire à Neuchâtel.
– Est-ce que le solaire pourrait remplacer un jour les énergies fossiles ?
– Pas tout seul ! On a besoin du mix énergétique. Il faut de l’éolien car, quand il n’y a pas de soleil, il y a souvent du vent, il faut de l’hydraulique, un peu de géothermie.
– A-t-on besoin des grandes fermes solaires dans les Alpes ?
– En Suisse, je suis très critique, car ce sont des territoires encore naturels. Et je pense que le bilan CO2 de ces grandes centrales solaires est négatif car il faut construire des routes pour monter le matériel, il faut d’énormes structures en acier. C’est typiquement la fausse bonne idée. La Confédération ferait mieux d’investir pour équiper nos toitures encore sous-exploitées.
– Faut-il plus subventionner le solaire en toiture ?
– Le solaire devient si rentable qu’on peut se poser la question… Peut-être faudrait-il subventionner le renforcement du réseau.
– À La Chaux-de-Fonds, l’Unesco est-elle un frein au solaire ?
– Il y a une volonté d’accélérer le développement solaire et de protéger le patrimoine. J’ai travaillé avec l’Unesco sur une stratégie qui va être publiée début 2024. On a vu que seul 25 % du potentiel solaire se trouve au sein du périmètre protégé, on pourrait donc développer les 75 % restants sans aucune contrainte.
– La tempête du 24 juillet a-t-elle ouvert des opportunités ?
– Oui, immenses, avec plus de trois mille toits à reconstruire. Mais si une installation en toiture coûte trop cher, il peut s’avérer plus rentable d’investir à côté, dans une coopérative solaire. On travaille sur ces mécanismes, apprendre à avoir des objectifs par territoire et non plus par bâtiment.